Leo Castelli n’est plus
Le marchand d’art Leo Castelli est mort samedi dernier à son domicile de Manhattan. Il était âgé de quatre-vingt-onze ans. Aux deux galeries new-yorkaises qui portent son nom sont attachés ceux des principaux artistes du pop art qu’il fera découvrir au monde entier, assurant ainsi leur durable suprématie sur le marché. En permanence attaché à la " nouveauté ", Leo Castelli se singularise à la fin des années cinquante en promouvant Robert Rauschenberg puis Jasper Johns dont il expose les premières " Cibles " et les " Drapeaux ". Suivront Roy Lichtenstein et Rosenquist, Andy Warhol, les minimalistes Richard Serra et Donald Judd, l’artiste conceptuel Joseph Kosuth. Plus récemment, il s’était intéressé à Gérard Garouste, Robert Combas ou Miguel Barcelo.
Leo Castelli est né à Trieste en 1907, à l’époque où cette ville était rattachée à l’Empire austro-hongrois. Fils de banquier, diplômé en droit de l’université de Milan, il travaille d’abord à Bucarest dans une compagnie d’assurance tout en suivant avec attention l’actualité artistique. C’est là que dans les années trente il rencontre son épouse, Ileana Sonnabend. Ils quitteront Bucarest pour Paris en 1939, avant d’émigrer deux ans plus tard aux États-Unis, pays dont il adoptera la nationalité. Leo Castelli possède un " oil " d’amateur d’art aussi aiguisé que son sens des affaires. Il entreprend des études d’économie à l’université Columbia avant de devenir, après-guerre, le représentant new-yorkais de la galerie parisienne de son ami René Drouin. Il ouvre en 1957 sa propre galerie, dans les murs de son appartement. Le critique Clement Greenberg avait imposé l’" action painting " de Jackson Pollock, donnant ainsi à la peinture américaine les lettres de noblesse qui lui manquaient à l’échelle internationale. Leo Castelli, soucieux de recueillir les fruits de cette notoriété tout en se démarquant de la concurrence par des valeurs nouvelles, à tous les sens du terme, lance son entreprise en exposant des artistes qui s’écartent résolument de l’expressionnisme abstrait. Coup de maître non sans risque qui lui permettra de régner pendant des décennies sur un marché de l’art dans lequel le brelan " Rauschenberg, Lichtenstein, Johns " est incontestablement gagnant. Les arbitrages princiers de Leo Castelli contribueront à reléguer au second plan le nouveau réalisme français, contemporain du pop art américain sur des supports plus innovants. L’homme se décrivait comme un " entrepreneur d’art ". Il sut, de ses débuts modestes aux sommets olympiens de l’Upper East Side, injecter l’éclat de sa vision dans les deux domaines, comme un Kahnweiler le fit pour le cubisme.
Dominique Widemann